mercredi 28 mai 2014

Plus que tous : Mingus


Oui, Moins qu’un chien, l’autobiographie fantasmatique de Charles Mingus, c’est gros. C’est gros comme une maison, comme une montagne peut-être. La mythomanie menée à ce point-là, c’est presque incroyable. En pleine période consciousness exacerbée – on est en 1971 – Mingus se réinvente une invraisemblable vie de maquereau, ce qui est pour le moins tordu. Retournant tous les stéréotypes de la domination raciale, se cognant aussi contre eux à tout bout de champ, Mingus passe sans arrêt de l’autodépréciation maladive au complexe de supériorité le plus extravagant. Le drapeau de la fierté révoltée est planté sur terreau instable des relations sexuellement asymétriques de l’Amérique clivée entre Blancs et Noirs, entre hommes et femmes aussi. Et ça tangue fort, croyez-moi. Mingus s’y affiche à la fois touchant de fragilité et comme une sorte de super-héros omnipotent, maitrisant aussi bien les arts martiaux que la contrebasse, d’une force athlétique sans égale et bien sûr d’une puissance sexuelle sans faille, sans oublier ses pouvoirs mystiques qui le rendent capables de communiquer à distance. Mais lui et ses doubles sont aussi hors de pair quand il s’agit de se faire du mal ou de cabosser ceux qu’ils aiment.

Apocryphe, le livre est en réalité tiré des entretiens d’un certain Nel King avec le jazzman. La démarche est tout à fait improbable et l’expérience de lecture déroutante. Quelquefois on s’enthousiasme pour la puissance de vie imaginée, la liberté de la divagation, le peu de précautions prises avec les conventions, à d’autres moments, on s’irrite du formalisme des longs dialogues casse-couilles ou de la mauvaise foi zénithale même si elle fait partie du dispositif. On se rend compte aussi que les déchirements de l’époque ne sont plus les nôtres.

Mais remettons-nous un peu dans le contexte : 1969, c’était la sortie de Pimp, le roman d’Iceberg Slim (autre histoire de mac qu’on m’a toujours recommandé de lire) et 1971, c’est aussi celle de Sweet Sweetback's Baadasssss Song le film séminal de Melvin van Peebles (entre parenthèses, il y a des choses tellement épatantes sur ce type dans le n°4 de Cheri-Bibi que vous devriez chercher à vous le procurer en urgence). « Le mythe de Stagger Lee » (selon l’expression de Greil Marcus) profondément ancré dans la culture afro-américaine avec son culte de la virilité agressive des mauvais garçons et de leurs conduites suicidaires mais pleine de frime prend une configuration bizarre et exacerbée au tournant des années 60, avec notamment le développement d’une veine sexuelle omniprésente. De fait, si Sweet Sweetback peut être décrit comme un film de cul politique, Moins qu’un chien tourne souvent au bouquin de luc mystico-libertaire.

Voilà en tous cas un épisode érotico-psychédélique (c’est en fait assez rare dans le livre ; le psychédélisme pas le sexe). Juste pour vous mettre l’eau à la bouche :

"Mon copain [id est Mingus] se prit à espérer que Cindy ne s’en apercevrait pas, mais c’était la première fois qu’il se défonçait à mort. Petit à petit, elle prit l’aspect étrange d’une déesse vierge grecque, tandis que mon copain flottait à travers la pièce, lentement, naturellement, convaincu qu’il était le plus grand amant du monde – va te cacher Casanova ! – et qu’il avait le sexe le plus long et le plus gros, un sexe dont la tête était munie d’une bouche et d’une langue, un sexe animé d’une intelligence qui lui était propre. Que le monde ordinaire était donc con ! quand la déesse le regardait de ses yeux qui semblaient changer de taille, ils étaient, elle et lui, aux deux extrémités d’un puissant rayon magnétique qui, parti de la base du cerveau, s’écoulait le long de leur colonne vertébrale et sortait de la chatte pour venir électrifier la bite et les couilles. Si l’un d’eux remuait la tête, à gauche, à droite, en haut ou en bas, l’autre sentait la vibration de ce mouvement dans le rayon et devait le suivre.
- Je suis défoncé ! s’écria Mingus.
- Oui, Charly baby… restons ainsi à faire l’amour par la pensée, à nous lécher mentalement jusqu’à ce que nous ne puissions pas le supporter… calmes, détendus… nous avons tout le temps… "

Je vous rassure : les protagonistes ne sont pas toujours aussi patients, mais comme ici ils n’ont positivement rien fait, vous reconnaitrez que l’honneur est sauf, pour nous en tous cas : La Cellule d’Ecoute ne s’est pas encore transformée en officine pornographique.



Reste à vous offrir en conclusion de ce post consacré à un bouquin pantagruélique un morceau non moins gargantuesque. Mingus s’y frotte à la cumbia si fort en faveur sur ce blog. Y’en a pour 27 mn : c’est-y pas top ? Vous ne pourrez pas dire qu’on a mégoté sur le poids aujourd’hui.

mardi 27 mai 2014

Les classiques : Étoile des Neiges


Montagne toujours !  Après les cow-boys suisses, la reprise étonnante du jour c'est Étoile des Neiges, par l'Orchestre A.H. Depalo une formation zaïroise des années soixante. 

Popularisé par Jacques Hélian en 1949, l'air provient d'Autriche où il fut enregistré l'année précédente par Franz Winkler et son épouse. La bluette montagnarde connût des deux cotés des Alpes de nombreuses versions jusqu'aux années 80, à Simon et les Modanais ou, bien sûr, aux bronzés font du ski.

Très honnêtement on n'en parlerait pas ici si je n'étais tombé sur cette version très libre dans la compilation The Sound of Kinshasa. Évidemment, l'aspect tirolien en prend un coup, mais ce n'est pas plus mal.

 






samedi 17 mai 2014

Cowboy suisse : Wilf Carter



Essayez de causer yodel avec vos amis, il y a au moins une chance sur deux que quelqu'un parle de Jimmy Rodgers et de son "Blue Yodel n°9" (1930), même si tout le monde ne sait pas que derrière le chanteur, il y a aussi la trompette de Louis Amstrong et Lil Hardin au piano. Et enfin, c'est normal, parce que c'est simplement génial. Un tube de country avec un arrangement jazz d'une telle classe, que demander de mieux? Enfin évidemment, c'est pas de la came pour les puristes.

Wilf Carter est beaucoup moins connu et c'est normal aussi, mais ce qu'il y a d'intéressant avec la première star de la country canadienne, c'est qu'il fait le lien direct avec la Suisse de yodelante tradition. C'est en effet après avoir vu un Suisse connu sous le nom de "Yodeling Fool" qu'il commence à chanter et son premier grand hit évoque un cowboy helvète perdu aux Amériques.


Le style de yodel personnel qu'il dévellope est proche du modèle alpestre, on l'appelle aussi "yodel écho" ou "trois en un". Ne me demandez pas ce que ça signifie, je ne suis quand même pas assez calé sur la question pour avoir réponse à tout. En revanche, c'est ma tournée de yodels, et je vous offre en outre un rock'n'roll yodelé plus tardif (1956) du même zigue. Allez voir là, c'est beau comme la rencontre sur une table de mixage d'un coucou et d'une cocotte-minute.




mercredi 14 mai 2014

Mélancolie tropicale : Caetano Veloso

Et si on pédalait un peu cette semaine avec Gaétan Véloce dans la saudade la plus épaisse. J'ai des dispositions spéciales en ce moment pour cette non-aventure là. La saudade est un spécialité du monde lusophone comme personne n'ignore mais les Hongrois qui n'ont aucun océan à se mettre sous la dent ne se défendent pas mal non plus. Voilà ce que j'ai relevé dans un roman de Gyula Krúdy, Le Compagnon de voyage (1918) :
“Je ne me rappelle pas ce que furent mes occupations le lendemain. On connait ces sortes de journée absolument vides […]. Les femmes se lassent de vous. On voit clair à travers elles, comme à travers de vieilles passoires. La vie vous est indifférente, on la trouve plutôt lugubre. On ne rencontrera plus jamais d’agréables compagnons de voyage.”
Je trouve ce passage sur l'encalminage admirable, d'une précision quasi-chirurgicale dans le genre désespéré, tout comme la chanson minimaliste de Caetano. Elle est sur un album récent du chanteur tropicaliste mais elle pourrait presque figurer sur un disque de Bill Callahan, non?

dimanche 11 mai 2014

Les anges musiciens : Morgan Babb and The Radio Four


Quelle sorte de musique jouent les anges au paradis? Au quatorzième siècle, on avait des idées sur la question. Pas facile cependant de se représenter la chose. Il faudrait commencer par savoir de quels instruments ils jouent...  N'hésitez pas à nous renseigner si vous avez des lumières sur le sujet et que vous les reconnaissez ci-dessus. En attendant, je vous propose un morceau de gospel qui nous transporte lui aussi dans l'au-delà. Morgan Babb et les Radio Four, un quartet du Kentucky, imagine l'ambiance pour vous. Pas besoin de croire en quelque chose, pour apprécier la bande-son.

Morgan Babb and The Radio Four - My Imagination of Heaven (1955)

PS : FL nous signale qu'il s'agirait d'un psaltérion et d'une vièle à archet. Merci beaucoup.