mercredi 13 décembre 2023

Merveilleux dulcimers des Appalaches : ceux d'I.D. Stamper

Difficile d'être plus loin du monde à paillettes de la pop music! Quand paraît le seul et unique disque d' I.D. Stamper, en 1977, cela fait bien longtemps qu'il n'est plus un adolescent. Cet ancien mineur du Kentucky était aussi un fabuleux musicien et un constructeur hors pair. Il jouait de l'harmonica, du banjo, du violon, mais son instrument fétiche était le dulcimer des Appalaches dont il confectionna des centaines d'exemplaires dans la plus pure tradition locale. Voyez-le ici à l’œuvre

Quant à sa propre technique musicale, elle se caractérise par une forte influence du blues couplée à la virtuosité des joueurs de cordes des Appalaches. Le résultat est comme hors du temps. Laissez-vous emporter par cette merveille capable de vous faire voyager comme les plus hypnotiques ragas de la musique indienne.


Red Wing, c'est aussi le titre de l'unique album d'ID Stamper que vous pouvez toujours vous procurer sur Bandcamp, ici. Un an plus tôt, en 1976, les mêmes passionnés animateurs de l'étiquette June Appal Recordings avaient réalisé un film "Sourwood Mountain Dulcimers" où ID Stamper apparaît. L'extrait absolument merveilleux est sur la même page (retournez-y illico si vous l'avez manqué) où le DVD est disponible .
 
 

vendredi 8 décembre 2023

Acrostiche accroche-coeur : Paddy McAloon et Limoges en 1982

 

L'histoire commence en 1982 (tout commence en 1982). Nous sommes à Durham et Paddy McAloon qui a fondé le groupe cinq ans plus tôt décide qu'il est temps de sortir le premier single de Prefab Sprout. Il est assez perturbé : sa petite amie vient de quitter les brumes du nord de l'Angleterre pour poursuivre ses études sous le riant climat du Limousin. Le 25 février, il réunit donc les deux autres membres du groupe, son frère Andy et le batteur, Michael Salmon, pour enregistrer une chanson dédiée à l'étudiante envolée. Les initiales des sept lettres du titre - "Lions In My Own Garden (Exit Someone)" - forment le nom de la ville de LIMOGES. "L'idée d'avoir des lions qui vous regardent dans votre propre jardin collait avec le sentiment d'insécurité d'une situation anormale. Quelque chose de plutôt effrayant exprimé dans un langage personnel, le mien" : c'est ce que confiera Paddy McAloon en 1988. Quelqu'un est parti et rugissent dans un cœur de 23 piges les lions limougeauds de la séparation. Remarquez que bien qu'assez usés, ils peuvent être assez flippants les félins limousins.

 


Le morceau était "énigmatique, mélancolique, mélodieux et donc parfait pour un jeune chômeur diplômé en littérature connaissant des problèmes avec sa petite amie", dira un journaliste.

Et bien sûr, deux jours après, il est arrivé ce que vous pensez ou plutôt non... il est arrivé ce à quoi vous ne pensez certainement pas. En fait, il est arrivé tout à fait autre chose. Mais à Limoges quand même... alors comment ne pas faire le rapprochement?

Quoi qu'il en soit, le morceau est une petite merveille indie-pop douce-amère, infiniment plus sophistiquée que la moyenne, qui va lancer la carrière singulière de Prefab Sprout, immédiatement repéré par Cherry Red, puis signé par une major, etc. Le reste appartient à l'histoire, comme on dit paresseusement. Mais alors, toi, Pierre-Jean, tu le connaissais ce morceau inaugural?

Prefab Sprout "Lions In My Own Garden (Exit Someone)" (1982)


 PS : Merci à Katrin B. pour la photo.

lundi 13 novembre 2023

Dernières larmes

 

J'aurai aimé qu'on t'offre un tombeau de cardinal romain, pour l'incongruité de la chose, et parce qu'à tout prendre les représentations baroques et rock'n'roll sont un peu parentes. Ce ne sera qu'une photo  représentant un fragment de tombeau de cardinal romain avec un peu de musique : le piano de la none la plus bouleversante d’Abyssinie.

Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou - Last Tears of a Deceased (1963)

 


Et aussi un souvenir heureux qui revient de loin. Ciao l'ami. Tu vas nous manquer!

 


 

 

 

 

vendredi 10 novembre 2023

Gospel et télécommunications modernes : décrocher le téléphone atomique de dieu avec le Spirit Of Memphis Quartet (1951)

 

Prague, Jungmannova, 13 (phot. EB)

En matière de télécommunications, rien n'arrive vraiment à la cheville des projections d'un des plus fameux groupes de gospel de Memphis qui vous proposent sans sourciller de décrocher le combiné et d'entamer directement un bout de causette avec Dieu lui-même sur son téléphone atomique. Nous sommes en 1951, l'enregistrement est réalisé pour l'étiquette King et on n'a jamais grimpé les barreaux de l'échelle mystique avec tant d'élan.

The Spirit Of Memphis Quartet " The Atomic Telephone" (1951)


mercredi 18 octobre 2023

Energie / Angoisse : Blind Owl Wilson et le Canned Heat jouent avec nos émotions (1969)

 

Il résonne vraiment bizarrement ce morceau du Canned Heat aujourd'hui. D'abord parce que musicalement, il est franchement impossible à situer : du blues 60's sous influence indienne qui sonne comme un précurseur improbable de morceaux électros beaucoup plus récents? Et puis, le décalage entre l'entrain euphorisant de cette merveille saturée d'énergie et le côté absolument noir des paroles... puisque Blind Owl Wilson se demande avec angoisse si, au train où ils vont, les hommes ne seraient pas capables de détruire la lune à brève échéance. En d'autres temps (pas si lointains), on aurait pu considérer le propos comme gentiment perché mais par ceux qui courent...

The Canned Heat "Poor Moon" (1969)


PS : le morceau ouvre une compilation extraordinairement bonne de l'étiquette Mississippi Records (confiance absolue ou presque) qui sélectionne dans la discographie du Canned Heat - où il y a notoirement à boire et à manger - onze morceaux dus au génie dérangé de Blind Owl Wilson. Se jeter dessus relève de l'obligation morale.



 



dimanche 24 septembre 2023

Visiter les îles Cook avec Will Crummer (1962)

C'est vraiment vers un tout petit pays que la Cellule vous propose d'embarquer aujourd'hui, notre agence venant de débusquer une activité musicale notable sur les îles Cook, aux 20000 habitants. L'archipel compte même une célébrité que l'on doit vous faire découvrir. Il s'appelle Will Crummer et associe musique polynésienne et influences américaines. Au début des années 60, il émigre en Nouvelle-Zélande pour travailler dans le bâtiment et, en 1962, c'est à Auckland qu'il enregistre un disque intitulé Cook Island Magic. C'est vraiment une belle petite chose dont on aurait tout à fait tort de se passer. Il alterne les morceaux où Will Crummer travailleur du béton s'illustre en crooner des îles plein de légèreté comme :

"Karapa le Uira" (1962)

 

Quelques instrumentaux survitaminées, euphorisants efficaces :

"Aiai" (1962)


Et pour ponctuer l'ensemble, quelques morceaux de percussions traditionnelles.

"Tarapi Koko" (1962)





dimanche 3 septembre 2023

Cumbia, baisers : en orbite avec Los Golden Boys (1965)

 

Nous sommes en 1965 à Medellin et Los Golden Boys enchaînent les galettes à succès à une vitesse impressionnante depuis leur premiers enregistrements un an plus tôt. En Orbito Con Los Golden Boys est déjà leur sixième album et l'on ne compte pas les 45T... Fondé en 1961 par les frères Garcés (nous avions déjà parlé de Pedro Jairo ici), le groupe de ces garçons en or est, comme son nom l'indique, sous influence de la vague planétaire de la musique populaire venue des pays anglo-saxons. En Colombie, la pop s'hybride naturellement avec la cumbia ou la gaita indigène qui continuent pourtant à dominer mais l'accordéon local peut laisser la place à la guitare (de Pedro) ou à un clavier acide plus cosmopolites et  dans l'air du temps. Le résultat est une des choses les plus euphorisantes de la période. Alors pour la rentrée : cumbia sixties et baisers à tous et toutes, la Cellule ne trouve rien de mieux à envoyer.

Los Golden Boys "Cumbia y Beso" (1965)

Le merveilleux label Mississippi Records a concocté l'an dernier une compilation resserrée (12 titres) des Golden Boys qui est absolument parfaite. Allez donc voir .


vendredi 25 août 2023

Apesanteur : Lisbonne au crépuscule

 

Comme toujours (?) avec les disques portugais un peu anciens, il est très difficile de recueillir les informations les plus élémentaires sur les conditions d'enregistrement du morceau, sa date par exemple. La pochette et le format (un EP sur l'étiquette Alvorada) semblent nous guider vers le milieu des années 60... Mais peu importe après tout : ces indications n'auraient pas augmenté notre sensation de légèreté d'un iota. L'ensemble de guitares mené par Raul Nery nous procure bien sans ça le vertige des hautes altitudes.

Voici d'abord la version enregistrée :

Conjunto de guitarras Raul Nery - Lisboa nao interdecer


Puis une autre version pour la télévision (qui vous révélera, si besoin est, la sublime rotondité de la guitare portugaise) :

 



 


jeudi 10 août 2023

Un tube psyché-pop brésilien d'Erasmo Carlos en 1971

 


En 1971, Erasmo Carlos sort un superbe album, euphorisant puissant que la Cellule aidera volontiers - si vous ne le connaissez déjà - à se forer un passage jusqu'à vos feuilles endormies par la torpeur estivale. La porte d'entrée proposée est une chanson ultra-tubesque évoquant "26 ans de vie normale". On vous laisse juge de ce que l'ami d'enfance de Tim Maia et de Roberto Carlos peut entendre par là...

Erasmo Carlos "26 anos de vida normal" (1971)




vendredi 7 juillet 2023

Accordé à l'accordéon (10) : à travers les flummes de l'enfer (1959)

 

On ne va pas lâcher comme ça la veine accordéon-guitare électrique la plus excitante de l'histoire, celle du tournant des années 60 en pays cajun. Nouveau classique incombustible aujourd'hui avec Austin Pitre, réputé être le premier accordéoniste de Louisiane à avoir levé ses fesses de sa chaise pour jouer debout, mais quelquefois aussi derrière la tête ou entre les jambes (faut être souple, costaud et virtuose). Nous sommes en 1959 et avec ce remontant là, vous êtes prêts à traverser les flummes de l'enfer le sourire aux lèvres.

Austin Pitre & The Evangeline Playboys "Flummes de l'Enfer" (1959)

 



mardi 4 juillet 2023

Accordé à l'accordéon (9) : Cleveland Crochet, cajun plus que tubesque (1961)

 

Violon, Batterie, accordéon et guitare électrique : de quoi faire un foin d'enfer avec le groupe merveilleux de Cleveland Crochet. Nous sommes bien sûr au sud de la Louisiane et la musique cajun prend une teinte blues accentuée pour produire le plus grand tube de son histoire : "Sugar Bee", qui sort en 1961 de sa zone d'origine incontrôlée pour devenir un tube national et répendre son énergie sauvage comme trainée de poudre à travers les États-Unis d'Amérique. Cleveland Crochet n'en retirera guère de royalties et restera un musicien à temps partiel, accroché aux établissements de Lake Charles. Peut-être, ne fut-ce pas plus mal...

Cleveland Crochet & The Hillbilly Ramblers - Sugar Bee (1961)


 



vendredi 30 juin 2023

Accordé à l'accordéon (8) : mambo loco!

 

 

Aníbal Velásquez, comme Franco, le T.P.O de Cotonou ou James Brown, fait partie de ces musiciens dont les disques se comptent par centaines (plus de 300 albums et 500 simples dans son cas, dit-on). Accordéoniste révéré en Colombie et plus largement en Amérique latine, Aníbal Velásquez se distingue par quelques-unes des cumbias les plus déstructurées de l'histoire sur lesquelles la Cellule attire votre attention aujourd'hui. Écoutez donc le bien nommé "Mambo loco" :

Aníbal Velásquez "Mambo Loco"


Ou notre chouchou remarquablement sapé :

Aníbal Velásquez "Vestido Nuevo"

 



samedi 27 mai 2023

La vie sans nous : Cass McCombs et la pop post-apocalyptique (2022)

 

C'est une tentation qui flotte dans l'air du temps. L'idée d'une Terre débarrassée de l'encombrante présence humaine. Sur son dernier album, Cass McCombs s'y plonge sans retenue et ça donne de drôles de choses comme ce morceau aveuglé de lumière, élégie post-apocalyptique qui concentre l'inconséquence d'une époque avec une délectation plutôt jubilatoire que morose :

Cass McCombs "New Earth" (2022)


En regard, deux statues du grand sculpteur baroque, Matthias Braun (1684-1738) à l'hôpital de Kuks en Bohème orientale : L'ange de la Bonne mort et la Victoire de la Religion sur la Mort. Pour varier les divagations sur le thème.




mercredi 3 mai 2023

Swinging Sixties : les irrésistibiles Filipinki à l'étape de Szczecin (1968)

 

Le déferlement de la vague pop des années 60 fut quasi universel. Derrière le rideau de fer, comme partout ailleurs, la contagion fut générale. En Pologne, c'est un groupe de filles de Szczecin [ne vous effarouchez pas trop des consonnes : ça se prononce comme ça] qui décrocha la timbale : les Filipinki. Le début de leur histoire remonte à 1959 et leurs succès fut tel en Pologne, en URSS et dans tout le bloc de l'Est qu'elles purent même faire deux tournées en Occident en 1965 et 1966. En 1968, en tout cas, elles sont au sommet de leur forme et tous les titre du EP qu'on vous présente ce soir valent le détour avec leur irrésistible énergie mutine. On n'hésite pas à vous les coller tous les quatre à la suite l'un de l'autre.

Filipinki - Nie Ma Go [Il n'est pas là]


Filipinki - Własny Świat [Mon monde à moi]


Filipinki - Znam Go Na Pamięć [Je le connais bien]

Filipinki - O Dziesiątej [A dix heures]

 


 
 

jeudi 27 avril 2023

Fados comiques, yodels portugais et autres oxymores musicaux

 

 

Pour le coup, on ne sait pas très bien où tout cela se passe, quels sont les protagonistes ni quand cela a pu arriver bien exactement. C'est sur une compilation de musiques latinos classées selon un vrac relatif que l'on s'est procurée pour trois francs six sous (celle-là), qu'on a trouvé ces morceaux incongrus. Pas la moindre information sur la provenance exacte : le Portugal à coup sûr mais où... Le nom même de l’interprète pourrait être sujet à caution : on n'a absolument rien trouvé sur elle en parcourant la toile en tous sens ; et quant aux deux chansons, on ne connait rien d'autre que leur titre et le nom du compositeur un certain João Nobre. Bref, si quelqu'un en sait plus, qu'il n'hésite pas à se signaler.

Pour la Cellule, l'irrésistible attrait de ces deux perles baroques vient de leur caractère de contradiction dans les termes. La première se présente comme un fado yodelant. Autant dire que la mélancolie typique du genre, la saudade, est ici très parfaitement absente.

Maria Manuela "Fado tirolês"

Quant à la seconde, c'est un adieu à la guitare, l'instrument emblématique du Portugal. Bonjour trombone et saxophone, bonjour à la trompette, et même à la clarinette mais adieu à la guitare et à toute sa symbolique pleine de nostalgie.

Maria Manuela "Adeus Guitarra"

On doute qu'on puisse appeler ça un fado, ce serait plutôt un contre-fado... On soupçonne que ça pourrait venir d'une opérette portugaise, si une telle chose existe... Des années 30? peut-être 50, pourquoi pas?


 


 

 


mardi 11 avril 2023

No No Blues : un classique qui fuse comme une balle (Atlanta, 1928)

 

La Cellule vous propose aujourd'hui un blues qui fuse comme une balle le long d'une ligne de basse aussi sommaire qu'imparable. Nous sommes en 1928, les nuits d'Atlanta sont chaudes comme de la braise autour de Decatur Street. Officient là Blind Willie McTell ou Barbecue Bob ; et Curley Weaver, le "magicien" de la slide, qui vous hypnotise avec une chanson de dénégation dont les antiphrases ne trompent personne (sûr qu'il l'a mauvaise de s'être fait largué).

Curley Weaver "No No Blues" (1928)


dimanche 9 avril 2023

Le plus connu des classiques méconnus : Trouble So Hard de Vera Hall (1937, 1960, 1999)

 

Parmi les morceaux très âpres du gospel-blues de l'Alabama, celui-ci est sans doute le plus connu depuis que Moby l'a intégré à son tube de 1999 - "Natural Blues" - qui n'a pas pu ne pas passer à travers vos oreilles. La Cellule vous propose aujourd'hui de frisonner à l'écoute de la version a capella de Vera Hall (1902-1964) enregistrée dans toute sa pureté par Alan Lomax en 1960 : 

Vera Hall "Trouble So Hard" (1960)

Ce n'est pas pour rien que Lomax considérait que c'était la plus belle voix qu'il ait jamais gravée sur ses bandes (et dieu sait s'il en avait enregistrées, des voix merveilleuses). Il existe une version plus ancienne, où Vera Hall est accompagnée par ses cousins Dock et Henry Reed.

Vera Hall & Dock Reed "Trouble So Hard" (1937)




lundi 3 avril 2023

Soigner votre Karma avec la merveilleuse tritare de Jorge Amiden (Brésil, 1972)

 

Un des meilleurs disques - un des plus méconnus aussi - né de l'explosion créative psyché-pop de la fin des années 60 est paru au Brésil en 1972. Trois musiciens d'exception, avec une palette de cordes extraordinaire, sont à la manœuvre : Luiz Mendes Junior (violon et chant), Alen Cazinho Terra (contrebasse, violon et chant) et l'étonnant Jorge Amiden, premier musicien à manier la tritare, une guitare à trois manches - mais il joue aussi de la guitare douze cordes et d'autres instruments - dont la carrière météorique fut trop tôt abrégée par l'abus de psychotropes. Arthur Verocai se charge de la production. Légèreté et complexité, sophistication et douceur, l'album a sa place entre Butterfly des Hollies et Tabua des Esmeralda de Jorge Ben. Par exception, c'est tout l'album - l'unique production du groupe -  que la Cellule vous propose d'écouter aujourd'hui.

Karma, Karma (1972)


 

 

 

 


lundi 27 mars 2023

Un cavalier qui sort de la nuit : Juaneco y su Combo (1968)

 

La Cellule vous réveille aujourd'hui avec un des classiques séminaux de la Chicha péruvienne. Comme bien d'autres musiciens andins, Juan Wong Popolizio et son groupe jouaient jusque-là les standards latino-américains, tout particulièrement des cumbias en provenance de Colombie, mais en 1968, il remise son accordéon, se procure un orgue farfisa et s'adjoint les services d'un guitariste talentueux, Noe Fachin. Ils inventent alors un nouveau genre où la cumbia se métamorphose en quelque chose d'incroyablement euphorisant. Notre morceau ouvre en trombe le premier album de Juaneco y su Combo.

Juaneco y su Combo - Caballito nocturno (1968)



mercredi 15 mars 2023

Cubaines, italiennnes, hindoues, parisiennes... Les racines d'un grand classique de l'exotisme (1936)

 

La Cellule vous embarque aujourd'hui sur les traces d'un grand classique cubain, ou peut-être para-cubain devrait-on dire, ou méta-cubain, ou sur-cubain pourquoi pas... ou comme vous voulez. Les choses se passent à Paris où le monde du spectacle de l'Entre-deux-guerres est friand d'exotisme et peu regardant sur l'authenticité des pedigrees annoncés en haut des affiches. Les musiciens du Lecuona Cuban Boys sont cependant tout ce qu'il y a de plus cubains et sillonnent l'Europe en crise depuis quatre ans. Arrivés de La Havane en Espagne en 1932, les LCB avaient connu des débuts difficiles. En 1934, le compositeur Ernesto Lecuona, gravement malade, avait été obligé de les laisser poursuivre leur périple sans lui mais dès lors qu'ils mettent les pieds à Paris, où ils sont acclamés, leur succès est phénoménal sur tout le continent. Le seul élément que le grand orchestre de plus de douze membres avait négligé d'emporter des Caraïbes était un chanteur du cru. Aussi embauchent-ils une star italienne de retour d'Hollywood, Alberto Rabagliati qui officie sur la plupart de leurs disques des années 30. Sa voix n'en fait pas moins merveille sur cette composition d'Armando Valespi Orefiche et Armando Orefiche (deux Armand pour le prix d'un), ce dernier étant le pianiste et faisant figure de leader de l'ensemble. Le morceau évoque quant à lui un sous-continent indien d'opérette - exotismes en chaîne! - et constitue une merveille d'équilibre avec un arrangement d'une modernité saisissante, devenu plus tard (dans les années 50-60) un standard du sous-genre de l'exotica - exotismes concaténés! Il a été enregistré à Paris le 29 septembre 1936.

Lecuona Cuban Boys - Hindou (1936)



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lundi 13 mars 2023

Punk suisse et autres pratiques un peu désuètes : LiLiPUT (1980)

 

 


Dites donc, quand est-ce la dernière fois que vous avez fait du stop? Et vous vous souvenez encore de la dernière fois où vous avez pris un stoppeur? On dirait qu'une ou deux éternités ont passé sous les ponts, non? La Cellule vous propose ce soir de touiller un peu votre nostalgie avec un des groupes les plus épatants qui aient jamais remué les contrées helvètes : LiLiPUT. Le morceau figurait en 1980 sur une compil elle-même très recommandable intitulée Swiss Wave. Un gonze a eu l'idée d'accompagner la chanson avec des images des années 60. C'est pas très raccord au niveau du rythme (ou des coupes de cheveux) mais pour la nostalgie, ça marche encore deux fois mieux.

LiLiPUT "Hitch-Hike" (1980)

 


 


mardi 28 février 2023

Dada 1821 : les Frères de Saint-Sérapion d'E.T.A. Hoffmann



 


Tout se déroule lors de la Septième Veillée des Frères de Saint-Sérapion d'E.T.A. Hoffmann, pendant un des entretiens amicaux qui forment le grand récit-cadre du vaste ouvrage. Troublés par l'histoire de Cyprian (qui vient de leur lire l'inquiétant conte Apparitions), les amis constatent que cette fois-ci l'ambiance de "leur soirée sérapiontique" reste morose et comme gênée. Pour réorienter son cours, ils se décident à passer de la littérature à la musique et à improviser en toute liberté. Cela va loin, très loin : et dans leur fantaisie, ils anticipent en fait, d'un siècle tout juste, les procédés les plus arbitraires de Dada, vous allez pouvoir le constater.

La suggestion musicale venait du personnage de Lothar et celui de Theodor (qui dédouble l'auteur dans les méandres de son propre dispositif narratif) lui apporte tout son soutien. Et c'est ici que nous commençons la très longue citation qui fait aujourd'hui l'essentiel du nouveau post de la Cellule : 

 - Tu as raison, approuva Theodor en ouvrant le piano, chantons! Et même si nous ne réussissons pas un canon capable comme le suggérait Sir Tobie Belch [La Nuit des Rois, sc. VIII], de "dévider trois âmes de tisserand", faisons néanmoins en sorte que notre chant soit assez plein de fougue pour faire honneur au signor Capuzzi et à ses compagnons. Improvisons un terze buffe à l'italienne. Je me charge de la partie de l'amoureuse et Lothar pourra intervenir en tant que vieillard facétieux qui interrompra notre duo en lançant quelques brèves notes, criardes et incongrues.

- Mais les paroles, demanda Ottmar, quelles paroles?...

- N'importe quoi, répondit Theodor: "Oh dio!... Lasciami mia vita..."

- Non, attendez!... s'écria Vincenz. Si vous ne voulez pas me laisser chanter, si vous refuser de reconnaître le don merveilleux, qui je le sens, m'habite et auquel il ne manque que l'organe de la Catalani [la célèbre cantatrice, Angela Catalani (1780-1849)] pour obtenir des effets saisissants, du moins, laissez-moi être votre tourneur de rime, votre poète officiel : acceptez de mes mains ce livret d'opéra!

Vincenz tendait à Theodor l'Indice de' Teatrali spettacoli de 1791, qu'il avait trouvé sur sa table à écrire.

Cet Indice, comme tous ceux qui paraissent chaque année en Italie, ne contenait que la liste des opéras qui avaient été joués, et celle des compositeurs, décorateurs, chanteurs et cantatrices. On l'ouvrit à la page du Théâtre de Milan et l'on convint que l'amoureuse entremêlerait les noms de chanteurs de oh dio's et ah cielo's et que l'amoureux ferait de même avec ceux des cantatrices, tandis que le vieillard facétieux aurait pour rôle de les interrompre en clamant avec colère des titres d'opéra entrecoupés d'injures.

Theodor joua une ritournelle en tout point conçue à la manière de celles que l'on trouve par centaines dans l'Opera buffa des italiens. puis il entonna, sur une mélodie infiniment suave et délicate : "Lorenzo Coleoni, Caspare Rossari... oh dio... Giuseppe Marelli, Francesco Sedini etc..." Et Ottmar à son tour : "Giuditta Paracca, Teresa Ravini... Giovanna Velati... oh dio etc..." Sur quoi Lothar, sur un rythme de croches rapides, s'exclamait : "Le Gare generose del Maestre Paesiello... che vedo... la Donna di spirito dek Maestro Mariella... briconaccio... Piro Re di Epiro... maledetti... del Maestro Zingarelli etc..."

Lothar et Ottmar accompagnaient leur chant des mimiques appropriées, tandis que Vincenz soutenait le rôle de Theodor de gestes du plus haut burlesque qui se pût voir. Les amis s'échauffaient de plus en plus. Dans une sorte de déchaînement d'enthousiasme du plus haut effet comique, chacun saisissant les idées ou intentions de l'autre. On exécuta avec uns si parfaite fidélité toutes les allures, singeries, etc... qui se rencontrent habituellement dans les compositions de ce genre que quiconque qui fût survenu à l'improviste n'aurait guère pu se douter que la musique qu'il entendait là était une improvisation, quand bien même il eût cependant trouvé singulier cet insensé méli-mélo de noms hétéroclites.

La rabbia italienne se déchaîna crescendo jusqu'au moment où, comme l'on peut bien s'en douter, tout se termina dans une explosion de rires ; Cyprian fit lui aussi chorus.

Ce soir-là quand les amis se séparèrent, ils étaient plus excités et disposés à se livrer à de folles extravagances qu'ils n'éprouvaient la bonne joie profonde qui d'habitude les emplissait d'aise" (Les Frères de Saint-Sérapion, t. IV, trad. Madeleine Laval, Phébus, 1982, p. 142-144).

Encore peut-on dire que ces frères de Saint-Sérapion fictifs dédoublent d'autres frères de Saint-Sérapion qui se réunirent bien réellement le temps d'une saison en 1814-1815 à Berlin, chez les uns et les autres ou dans les cafés. Parmi eux : Theodor Gottlieb von Hippel ; Julius Eduard Hitzig ; le poète Friedrich de La Motte-Fouqué, à l'occasion ; le conteur et naturaliste Adelbert von Chamisso ; le dramaturge, conteur et marchand Karl Wilhelm Salice-Contessa ; Friedrich von Pfuel ainsi que quelques autres et bien sûr E.T.A Hoffmann qui fit revivre l'ambiance de ce groupe dans son ouvrage paru entre 1819 et 1821.

A défaut de pouvoir s'étourdir de punch et de romantisme avec eux, on aurait aimé trouver quelques illustrations sonores inspirées des improvisations séra-dada-piontiques (qui ne furent peut-être pas seulement de papier, qui sait?) mais nous avons fait chou blanc dans cette recherche. Peut-être quelqu'un a-t-il déjà relevé le gant?... Peut-être est-ce encore à venir?... Oui, on voudrait voir ça un jour!


 

 


mercredi 22 février 2023

Un tube directement tombé de la bande FM trente ans plus tard : le dernier Brendan Benson

 

Sur son dernier album, Brendan Benson a intégré une reprise de Gerry Rafferty et c'est comme si un nouveau tube de la bande FM du début des années 1990 (ou de la fin des années 80) venait de choir parmi nous trente ans plus tard. On craint la catastrophe, mais on tutoie la merveille. L'anachronisme poussé à son point de perfection : 

Brendan Benson "Right Down The Line" (2022)

 


samedi 18 février 2023

Est-ce que c'est grave, docteur? Bebop Deluxe (1975)

 

La Cellule plonge en eaux troubles aujourd'hui. Au cœur des 70's anglaises mainstream, là où nagent les poissons flasques du nom de prog, glam, hard rock... Frissonnez braves gens! Et au bout du harpon, un morceau qui emprunte un peu à tous ces genres honnis mais qui à l'heur de nous mettre malgré tout en euphorie ce matin. Question : est-ce que c'est grave, docteur?

Bebop Deluxe "Maid in Heaven"


 


vendredi 10 février 2023

Oui, non et autres titres cintrés du Music Machine (deuxième mouture)

 

Après la fulgurante carrière de Music Machine dans sa composition classique - un album et une poignée de simples dont le hit incombustible "Talk Talk"  dans le courant de l'année 1966 - Sean Boniwell, leur leader charismatique, se retrouve progressivement seul aux manettes pour continuer cette aventure sur le Boniwell Music Machine. Le résultat est une production assez inégale mais avec quelques pépites franchement cintrées qu'on trouve sur leur album de 1968 et que la Cellule est heureuse de vous mettre entre les feuilles ce matin.

Oui, non? - D'abord oui! Avec une satire de l'égocentrisme pleine d'énergie habillée façon baroque (c'est encore la formation originale du Music Machine qui joue ici).

Music Machine "Absolutely positively" (1968)

 
 
- Puis non!  Non, c'est non!

"Affirmative No" (1968)

 
 
Et enfin, le plus klaxonnant des morceaux barges du Bonniwell Music Machine toujours sur la thématique du narcissisme exacerbé : la danse du moi à s'en faire péter les articulations.

"Me, Myself And I" (1968)



lundi 6 février 2023

Du boogie au rock'n'roll, avec la grâce de l'éléphant : Cecil Gant (1951)

 

Nul autre ne personnifie mieux la filiation du boogie au rock'n'roll que le grand Cecil Gant, un des héros les plus marquants du livre de Nick Tosches. Et c'est un morceau séminal que la Cellule vous propose ce matin. Le pianiste martèle son instrument avec l'élégance d'un éléphant, tandis qu'une guitare hillbilly (ne pas oublier que Cecil Gant est originaire de Nashville) fait des entrechats autour de cette base rythmique des plus consistantes. La pesanteur et la grâce réunies, comme dirait Simone Weil, et rien de mieux pour entamer la semaine sans se laisser écraser par le lundi.

Cecil Gant "Rock Little Baby" (1951)

 


 


vendredi 3 février 2023

En orbite : Tom Verlaine (1949-2022)

 

 

Grande perte que la mort de Tom Verlaine. 

Idée n° 1 : pieusement réécouter Marquee Moon pour la cent-millième fois. Idée n° 2 : écouter quelques-uns des disques qui nous avaient échappés. 

Et d'emblée, la pioche est mirifique avec ce disque de 2006, Songs and other things, à côté duquel nous étions complètement passé et peut-être vous aussi?

Sombres, lumineux, mettant tout cliché en torsion, voici trois morceaux de ce très excellent album resté un peu sous les radars :

Tom Verlaine "Orbit"

Tom Verlaine "A Stroll"


 Tom Verlaine "The Earth Is In The Sky"


On l'a beaucoup aimé Tom Verlaine et on est heureux d'en trouver encore de nouvelles raisons. Bye, bye.

 


samedi 28 janvier 2023

Les oeuvres complètes de Blind Mamie et A.C. Forehand (1927)

 

Tout se passe entre le 25 et le 28 février 1927, à Memphis pendant deux sessions d'enregistrements réalisées pour l'étiquette Victor. 

Mamie et A.C. Forehand, tous deux aveugles, forment un couple de musiciens originaire du sud jouant au coin des rues. Leur gospel-blues minimaliste est un trésor unique de sensibilité pure : l'os de la sensibilité dénudée. Ils chantent à tour de rôle. La joie, par exemple, pour commencer par un chanson interprétée par A.C. :

Blind Mamie et A.C. Forehand "I'm So Glad Today, Today" 

 

 

A.C. joue de la guitare et de l'harmonica. Quant à Mamie, l'instrument qu'elle fait tinter serait un triangle ou une cymbale de doigts selon les descriptions. Et elle chante aussi, on l'a déjà dit. Le miel au cœur des rochers, par exemple, ou autres oxymores saisissants peuplant le répertoire religieux du gospel.

Blind Mamie et A.C. Forehand "Honey In the Rock"

 

Tintinnabule merveilleux, n'est-ce pas? Comme venu du fond des âges... Mamie n'a pourtant que 32 ans ou environ. Écoutons, maintenant ce morceau toujours chanté par Mamie, où son triangle semble rythmer le décompte final de la destinée de tout un chacun :

Blind Mamie et A.C. Forehand "Wouldn't Mind Dying if Dying was All"

 


Le dernier des quatre morceaux de la discographies des époux Forehand est chanté par A.C. Il est dédié à sa mère.

Blind Mamie et A.C. Forehand "Mother's Prayer"