Pourtant, donc, L'Amant de Lady Chatterley est un excellent livre. Son seul grave défaut, malheureusement tout à fait incurable, est de laisser en plan le lecteur parce qu'il est resté inachevé à la mort de l'auteur. Tout le monde a bien sûr en tête son aspect transgressif en ce qui concerne la sexualité et sa façon de heurter de front les "conventions sociales" sur le sujet. Remarquez que j'ai mis conventions sociales entre guillemets. En écrivant l'expression, j'ai eu la nette impression de manier quelque chose d'extrêmement figé, une coagulation de sens lourde comme un cliché fourré au plomb. Il faudrait creuser pourquoi l'association de mots me gêne comme ça ce matin. Ce sera peut-être pour un autre fois... mais revenons au livre de D.H. Lawrence et sautons cavalièrement par-dessus la question sexuelle, certes parfaitement centrale dans le roman, mais qui n'a échappé à personne. Soulignons d'autres aspects et notamment celui de protestation contre la civilisation industrielle. La question politique qui anime le livre reste le plus souvent sous-jacente mais elle est quelquefois exprimée avec une grande force. Dans le détail, on trouve aussi des analyses très justes comme celle du caractère de lord Chatterley devenu un farouche partisan de l'industrialisation à outrance et qui se définit comme "anarchiste conservateur" (conservative anarchist, dans le texte) en annonçant ainsi de très près le cynisme social de nos actuels libéraux-libertaires (rien à voir en revanche avec "l'anarchiste tory" que Chesterton représente aux yeux d'Orwell ; Orwell qui ne s'est jamais défini de la sorte contrairement à ce qu'une légende a fait croire).
Pour boucler cette notule passablement bavarde, je voudrais placer une longue citation qui n'a rien à voir avec l'industrie ou la politique mais que je trouve bouleversante. Il s'agit d'un dialogue entre Constance "lady" Chatterley, et Mellors, qui vient de devenir son inoubliable "amant" et dont on apprendra progressivement que le passé l'a cruellement éprouvé. Peu après l'amour donc, on lit cet échange :
“ – Vous ne regrettez rien, n’est-ce pas ? lui demanda-t-il, en marchant à côté d’elle.
– Oh ! non ! non ! Et vous ? dit-elle.
– Pas ça ! Non ! dit-il.
Puis, il ajouta, un peu plus tard :
– Mais il y a tout le reste.
– Quel reste ? dit-elle.
– Sir Clifford. Les autres. Toutes les complications.
– Pourquoi des complications ? dit-elle, déçue.
– C’est toujours comme ça. Pour moi, comme pour vous. Il y a toujours des complications.
Il marchait d’un pas ferme dans l’obscurité.
– Et vous, est-ce que vous regrettez ? dit-elle.
– Dans un sens ! répondit-il, en regardant le ciel. Je croyais en avoir terminé avec tout cela. Et voilà que j’ai recommencé.
– Recommencé quoi ?
– La vie.
– La vie ! ” (D.H. Lawrence, L’Amant de Lady Chatterley (1928), Plon, 1980, trad. Pierrette Fleutiaux et Laure Vernière, p. 140-141).
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Pour l'illustration sonore, deux morceaux s'imposent. L'un est l'inusable "Oops I did it again" de Britney Spears dont Richard Thompson a fait une reprise que je vous recommande chaudement malgré toute les préventions que vous pourriez nourrir (cette note est vraiment d'un snobisme achevé, car quoi de plus snob que de prendre systématiquement à contrepoil celui des autres) :
Richard Thompson "Oops" (2003)
L'autre est inévitablement le morceau des Monks.
The Monks "Complication" (1966)