Henry Thomas (1874-1930), alias Ragtime Texas, les spécialistes du blues le connaissent bien. On est là aux plus près des sources du genre, quand celui-ci se dégage progressivement des genres adjacents. Mais traduisons pour vous un peu de Greil Marcus pour les présentations : "Thomas était né à l'est du Texas en 1874, et se lança pour chercher fortune - le mot de fortune renvoie ici étymologiquement à la chance, au hasard, certainement pas à la possibilité d'amonceler des quantités d'argent - à peine une dizaine d'années plus tard, comme un vagabond suivant les voies ferrées, vivant de sa musique et de la générosité des femmes, prenant le surnom de "Ragtime Texas". C'était déjà un musicien professionnel quand il joua à l'exposition universelle de Saint-Louis en 1904. Fils d'anciens esclaves ayant grandi avant que la culture noire de l'époque post-esclavagiste ait adopté ses nouvelles formes, Thomas plus qu'aucun autre musicien noir ayant été enregistré était à l'aise pour jouer les plus anciens genres de musique noire qui s'étaient développées avant la Guerre Civile. C'était une part naturelle de son répertoire. Ce qui incluait les chansons racontant des histoires, des fables, des chansons de travail (work calls), des histoires où prudemment les personnages étaient remplacés par des animaux, soit toute une tradition didactique et de divertissement ou le "je" comme manifestation tangible de l'artiste s'affirmant lui-même était absent ; une tradition qui ne correspondait déjà plus à la vraie position de Thomas, un noir indépendant lancé dans le vaste monde. Au même moment, dans les années 80 du XIXe siècle et les premières du XXe, de nouvelles tradition émergeaient en effet - jazz, blues, ragtime - plus en accord avec la situation de musiciens tels que lui, avec leur nouvelle mobilité hors des communautés géographiquement fixées et, bien sûr, Thomas était aussi partie prenante de ce mouvement. Il ne chantait pas vraiment des chansons racontant la vie des anciennes communautés déjà à moitié oubliées mais des chansons reliées aux traditions de ces anciennes communautés et, en outre, c'était aussi un homme moderne, un bluesman, un chanteur qui n'exprimait alors pas tant un esprit communautaire qu'une individualité s'adressant à cette communauté." Mais pour en savoir plus, allez donc voir ce texte qui date déjà de 1976 ici.
Loin du versant le plus tragique du blues, Henry Thomas nous parle donc d'une époque plus ancienne en train de se dissoudre dans la modernité trépidante du XXe siècle. De cette époque primitive est issue l'espèce de flûte de pan qui rythme les morceaux d'Henry Thomas. Elle est même censée venir d'Afrique. Sur "Railroadin' Some", elle imite la vapeur du train et vous embarque pour trois minutes de bourlingue, d'une gare à l'autre, avec les tramps des années 20.
Henry Thomas "Railrodin' Some" (1929)
Avec "The Fox and Hounds", c'est la frénésie de la perpétuelle course poursuite des vagabonds que souligne le flûtiau céleste de Henry Thomas, aussi appelé quills.
Henry Thomas "The Fox and Hounds" (1927)
Le sujet de "Bull Doze Blues" n'est pas très différent, mais vous reconnaissez là sans peine la source d'un des morceaux les plus célèbres de 1968, n'est-ce pas?
Le deuxième disque d'Exuma, sobrement intitulé Exuma II, est paru en 1970, année prolifique avec pas moins de trois albums. La pochette peinte par Macfarlane Gregory Anthony Mackey (1942- 1997), alias Exuma himself, est très réussie à mon goût mais pas forcément engageante. De fait, le disque n'est pas le plus facile d'accès, on peut même dire que l'écoute intégrale du disque est un peu éprouvante, la magnifique foire vaudou ayant une certaine tendance à virer au grand-guignol. Il y a cependant plusieurs pépites comme le morceau endiablé qui ouvre le carnaval :
Exuma - "Damn Fool" (1970)
Vous avez aussi le blues hanté de "We Got to Go"
Exuma - "We Got to Go" (1970)
Dans le genre cinglé, "African Rhythm" vous emmène dans une jungle hallucinée où chercher je ne sais quel lion peut-être bien aussi cintré que vous. Petit chef d’œuvre de dingotterie comme en apesanteur.
La Cellule revient aujourd'hui sur le cas Exuma (voir ici et là pour les épisodes précédents). Bon, on aurait quand même pu commencer par le commencement (comme on le recommande depuis que le conte d'Hamilton a écrit ses fameux contes facétieux) et par le premier disque (le premier des trois sortis en 1970!), où d'ailleurs il se présente lui-même :
Exuma "Exuma, The Obeah Man" (1970)
C'est tout l'héritage occulte afro-antillais que revendique ici avec fracas le bahaméen Tony Mc Kay au moment de faire son apparition dans le monde de la musique enregistrée.
Exuma, c'était mon nom quand je vivais dans les étoiles
Exuma, une planète qui a embrasé Mars,
Beaucoup de voix sortent à travers ma gorge
La dent d'une grenouille, la queue d'un bouc!
Je suis Exuma, l'homme Obeah!
Outre ce lyrisme échevelé et incantatoire, il y a aussi de merveilleux moments de décontraction passablement zarbis sur ce disque-manifeste dans la lignée ouverte par le Dr John, comme "Jukanoo" où rappliquent quelques-uns parmi instruments antillais les plus curieux et sans grand souci de mise en ordre. Écoutez donc ça :
Parmi les vagues de rééditions qui réjouissent le cœur et les oreilles des explorateurs des musiques populaires de la planète, il y a des modes. Une des modes les plus euphorisantes des toutes dernières années a concerné la seconde génération des musiciens Cap-Verdiens après celles des grands classiques que sont Cesaria Evora, Bana ou le lumineux guitariste Humbertona. Les labels Analog Africa, Sofrito ou Ostinato Records ont tous récemment fait leur miel (et le nôtre) de cette phase où toute la richesse de la musique insulaire s'exprime en intégrant de nouveaux moyens comme le synthétiseur. Trouvé sur l'excellentissime compilation d'Ostinato Records, Synthetize the Soul, c'est un duo formé par Elisio Gomes et Joachim Varela qui excite notre curiosité aujourd'hui. L'anthologie susdite n'offre qu'un seul morceau du groupe, mais un morceau génial où la splendeur des guitares luso-africaines (celle du Super Mama Djombo, par exemple) brille sur un rythme synthétique pris de frénésie.
Elisio Gomes et Joachim Varela "Chuma Lopes" (1993)
Discogs nous apprend que le titre se trouve sur un album dont la moitié des titres sont en français ("Tout le Monde", "Attention Marie" et "Je-Ne-Puis-Pas") mais le seul autre morceau que nous avons trouvé sur la toile est "Angelina", très bon lui aussi (mais sans guitares malheureusement). Autant dire que l'on serait friand de toute autre information sur le disque (avis à la population!).